Thoughts and Feelings on : The rain/La pluie
Thoughts and Feelings on: The rain-La pluie
(English below)
Chère ami.e
Je ne t’ai pas envoyé de newsletter depuis quelques semaines car je suis enfin rentrée chez moi à Abidjan, dans mon appartement cocon et se réhabituer mentalement et physiquement à la vie ici prend un peu de temps. Je t’envoie ce texte aujourd’hui, un lundi, plutôt qu’un dimanche. D’ailleurs je pense que je vais enlever le « Sunday » du titre de la newsletter car qu’est-ce qui m’empêche de partager avec toi mes pensées et sentiments en dehors du dimanche ?
Ici c’est la saison des pluies, on m’avait prévenu avant que j’arrive que la ville entière a le rhume, la grippe, la dengue ou le palu à cause de l’humidité. L’humidité ambiante est facile a oublier mais toujours impressionnante quand tu reviens. Dès que tu sors de l’aéroport c’est comme si tes poumons se remplissaient de l’eau qui est dans l’air et si tu as tes cheveux naturels tu peux presque instantanément les sentir s’hydrater et rétrécir. C’est une odeur et une sensation aussi bien agréable que perturbante à mon humble avis.
Se réhabituer à l’humidité c’est aussi se réhabituer à la puissance de la nature en Afrique, qui est aussi quelque chose de facile à oublier mais toujours impressionnant. Il pleut presque tous les jours et il fait gris. Cette saison est mon moment préféré de l’année car trop de lumière me fait mal aux yeux et me donne des maux de tête. En plus je transpire comme un pizzaiolo en général donc le reste de l’année, mes rideaux sont fermés de 8h à 18h, je mets la clim en marche toute journée et je ne m’aventure dehors qu’à partir de 18h quand le soleil se couche. Le crépuscule hors saison des pluies en Afrique de l’ouest est quelque chose de magnifique et moi je suis un peu comme les akpani (chauve-souris) du plateau qui rentre se coucher alors que la ville se réveille, mais à l’envers.
Pendant la saison des pluies, je peux marcher dans la rue dans la journée sans souffrir, sans transpirer à grosses gouttes, je peux rester dans mon salon et dans ma chambre sans ventilateur ni climatisation, je peux ouvrir mes rideaux sans que le soleil ne m’aveugle, et je peux rester sur mon balcon en regardant mélancoliquement la pluie tomber sur la verdure de mon quartier en écoutant de la Bossa Nova.
Un jour que je regardais la pluie tomber, un léger sourire aux lèvres, je me suis dit qu’aimer la pluie ici c’est quand même être placée dans un espace de privilège car la pluie ici est très puissante. Elle est très puissante et dérange tout, ce n’est pas possible de faire ça vie autour d’elle, elle arrête tout. Elle créé des trous dans le macadam en trois jours, elle inonde les quartiers précaires, détruit des habitations, elle tue, elle fait doubler le prix des taxis etc. bref la pluie en Afrique de l’ouest souligne le mot « force » dans l’expression « force de la nature » et je peux l’aimer car je la regarde du haut de ma tour d’ivoire, sans avoir à devoir même me mouiller.
Ce weekend j’ai participer comme traductrice-interprète à un cycle de conférence sur le livre du guyanais Walter Roodney « How Europe underdeveloped Africa » et le deuxième, plusieurs personnes qui devaient participer à des panels ne sont pas venues ou sont arrivées en retard, à cause de la pluie. L’une des personnes étrangères pour qui je devais interpréter la conférence en anglais m’a demandé si la pluie était un si grand problème que ça ici. Ça m’a fait sourire. Quelques heures plus tard, nous avons assisté à un panel où l’écrivaine Veronique Tadjo a parlé de la puissance de la pluie et son côté implacable en lisant un texte où elle parle de « pluie guerrière » en faisant le parallèle entre la pluie et la guerre et leur pouvoir perturbateur de la vie quotidienne. C’était un panel très intéressant qui a répondu poétiquement à la question de mon interlocutrice.
Alors que je finis d’écrire ce texte, je fixe avec résignation les tâches d’humidité qui se sont encore élargies dans certaines pièces de mon appartement depuis le moment où je suis partie et je pense aux sous que je vais devoir encore lâcher pour les repeindre. Vraiment, on n’échappe pas à la nature.
Aujourd’hui je partage avec toi avec le clip de la chanson Bleu de Nuit de l’artiste congolais-belge Baloji dont l’esthétique et le lyricisme sont impeccables. Par association sons-images-couleurs-sensations cette chanson me fait penser à la pluie et à l’eau. Baloji est aussi réalisateur et c’est lui qui réalisé son propre clip.Son dernier film « Augure » a gagné un prix au festival de Cannes cette année.

https://www.youtube.com/watch?v=TzHM_JLgqO0
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Dear friend,
I haven't sent you a newsletter for a few weeks now because I'm finally back home in Abidjan, in my cocoon of an apartment, and getting mentally and physically re-accustomed to life here takes a little time. I'm sending you this text today, on a Monday, rather than on a Sunday. In fact, I think I'm going to remove the "Sunday" from the newsletter title, because what's to stop me sharing my thoughts and feelings with you outside of Sundays?
It's the rainy season here, and I'd been warned before I arrived that the whole city has colds, flu, dengue fever or malaria because of the humidity. The surrounding humidity is easy to forget when you leave, but still impressive when you get back. As soon as you step out of the airport it's as if your lungs are filling up with the water in the air, and if you have natural hair you can almost instantly feel it moisturizing and shrinking. It's both a pleasant and a disturbing smell and sensation, in my humble opinion.
Getting used to humidity also means getting used to the power of nature in Africa, which is also something easy to forget but still impressive. It rains almost every day these days and the sky is gray. This season is my favorite time of year, because too much light hurts my eyes and gives me headaches, and I usually sweat like a pizzaiolo so during the rest of the year, my curtains are closed from 8am to 6pm, I turn on the air-conditioning all day and only venture outside after 6pm when the sun goes down. The twilight outside the rainy season in West Africa is something magnificent, and I'm a bit like the akpani (bats) of Plateau who go to bed while the city wakes up, but in reverse.
During the rainy season, I can walk down the street during the day without suffering, without sweating profusely, I can stay in my living room and bedroom without a fan or air-conditioning, I can open my curtains without the sun blinding me, and I can stand on my balcony wistfully watching the rain fall on the greenery of my neighborhood while listening to Bossa Nova songs.
One day, as I was watching the rain fall with a gentle smile on my face, I was hit by the realization that to love the rain is still to be placed in a space of privilege, because the rain here is very powerful. It's very powerful and disturbs everything. It's impossible to make life around it, it stops everything. It creates holes in the tarmac in three days, it floods shantytowns, it destroys homes, it kills, it doubles cab fares, etc. In short, rain in West Africa underlines the word "force" in the expression "force of nature", and I love it because I can watch it from the top of my ivory tower, without even having to get wet.
This weekend, I took part as a translator-interpreter in a series of conferences on the book by Guyanese author and activist Walter Roodney "How Europe underdeveloped Africa", and on the second day, several people who were supposed to take part in panels didn't turn up or arrived late, because of the rain. One of the foreigners for whom I had to interpret the conference in English asked me if the rain was such a big problem here. The question made me smile. A few hours later, we attended a panel where writer Veronique Tadjo spoke about the power of rain and its implacability, reading a text in which she spoke of "warrior rain", drawing a parallel between rain and war and their power to disrupt daily life. It was a very interesting panel that poetically answered my interlocutor's question.
As I finish writing this, I stare resignedly at the damp patches that have grown even larger in some rooms of my apartment since I left, and think about the money I'm going to have to spend on repainting them. Really, there's no escaping nature.
Today I'm sharing with you the video clip for the song Bleu de Nuit ( midnight blue) by Congolese-Belgian artist Baloji, whose aesthetic and lyricism is impeccable. The song's sound-image-color-sensation association makes me think of rain and water. Baloji is also a filmmaker, and directed his own video. His latest film "Augure", won an award at this year's Cannes Film Festival.
