Collage by me ( acrylic paint, paper, felt tip pens, oil pastel)
Cher.e amie,
J’ai l’impression de ne pas avoir écrit depuis super longtemps. Mais ça ne fait qu’un mois seulement. Ma perception du temps est assez faussée en ce moment. Un des nombreux signes que la dépression est en train de faire son retour. Il y a quelque chose d’étrange à pouvoir reconnaitre ce qui t’arrive tout en sachant que tu ne peux rien faire contre. Ou que tu n’as rien envie de faire contre, parce que franchement, je suis fatiguée et la dépression ne me fait plus peur franchement, si elle veut venir qu’elle vienne. Peut-être qu’on deviendra meilleure amie à un moment donné même si je ne suis pas sûre que cette amitié soit dans mon meilleur intérêt.
Hier je suis allée à la plage pour me relaxer. Je n’y étais pas allée depuis 6 mois alors que j’habite à une heure à peine. Cette fois je n’ai pas ressenti l’excitation que je ressens d’habitude. D’habitude j’adore la plage. Je suis comme une golden retriever à la plage. Mais là, je suis clairement en train de retomber dans l’état où rien ni personne ne m’intéresse ou ne m’excite vraiment. En plus, je sens que mon cycle à Abidjan se termine. Je le sens dans mon esprit. Je le sens dans mon corps. Cela dit, on verra combien de temps cette sensation restera avec moi car ça pourrait être un des effets de ma santé mentale dégradée ces temps-ci, à cause d’un certain nombre de choses qui ne sont même pas de mon ressort, comme mes maladies chroniques qui s’empirent sans que je ne puisse rien faire parce qu’elles sont incurables. Les choses que j’avais mis en place pour gérer mes symptômes depuis presque 3 ans ne fonctionnent plus. Quelle malédiction.
Enfin, peut-être qu’il s’agit d’un épisode passager. Ou peut-être que c’est juste la façon dont les choses fonctionnent chez moi. Je ne peux pas rester à un seul endroit pendant très longtemps. J’ai toujours eu l’énergie de « Moi ? je m’en vais ». J’ai toujours eu une facilité à quitter les gens, les lieux, les emplois etc. quand les choses ne vont plus. Je n’ai jamais eu la patience sacrificielle d’attendre en espérant que les choses s’améliorent. Moi ? Je vais me barrer, c’est sûr. Je crois que je tiens ça de ma mère. Je me souviens que ma tante m'a dit à quel point tout le monde avait été choqué et impressionné lorsque ma mère, une femme, a décidé d’aller s'installer en France en laissant ses trois enfants de moins de 10 ans (et un mari), pour préparer le terrain afin que nous puissions la rejoindre quelques années plus tard. Je pense que je tiens tous mes traits de caractère audacieux de ma mère. Cependant, je n'ai pas encore décidé si le trait de caractère "Moi ? je m'en vais" est positif ou négatif. Ça dépend des circonstances, je suppose; mais une chose est sûre, c’est que comme le disent les Ivoirien.nes : "On dure pas dans mauvais rêve".
Je sais aussi que je vais revenir, même s’il y a une culture de la médiocrité dans cette ville qui m’ennuie dans les meilleurs jours et m’agace dans les pires. Pour l’instant, je n’ai plus envie de connaitre ni d’autres gens, ni d’autres lieux ni rien d’autre dans cette ville. Les endroits où j’avais mes habitudes m’ennuient maintenant et si au début de l’année j’ai mis « sortir plus » sur mon vision board, aujourd’hui je n’ai plus que très rarement envie de sortir de chez moi. Parfois il faut repartir pour mieux revenir. Quand je suis loin pendant longtemps le pays me manque et quand je suis là, j’ai envie de partir. Va comprendre.
Cela dit, il y a deux semaines j’ai eu une expérience inédite à Abidjan semaines, j’participé à une résidence d’écriture de deux semaines dans une bibliothèque située à Yopougon. C’était ma première résidence à Abidjan et ça s’est super bien passé. J’étais entourée d’écrivaines ivoiriennes super talentueuse et on prenait soin de nous. J’ai super bien mangé. J’étais à l’aise. J’étais confortable. J’ai pu avancer dans l’écriture de mon livre mais depuis le retour de la résidence, rien, zéro motivation ni pour écrire ni pour lire. A la résidence, mes jours consistaient à me réveiller-lire-manger-écrire et rebelote tous les jours. Je me disais que vraiment, je suis faite pour qu’on prenne soin de moi pendant que je bénie les lieux de ma présence tout en produisant de l’art, un peu comme une chatte d’appartement mais en version créative. Une chatte d’appartement écrivaine. C’est ça la vie que je mérite. Si je pouvais je ferais plusieurs longues résidences artistiques plusieurs fois par an dans différents endroits du monde, même si mon appartement et mon lit d’Abidjan me manqueraient. J’adore cet appartement, j’adore ce lit. Je serai triste de les quitter mais j’ai déjà commencé à faire mon deuil. Toutes les bonnes choses ont une fin.
Tu sais, dans ma vie d’avant, je voyageais beaucoup. J’ai vécu dans plein d’endroits différents dans le monde, à tel point que ma famille m’a donné le surnom de «globe-trotter ». Et même si j’ai pas vraiment bougé depuis presque 10 ans, ils continuent de m’appeler comme ça. Va comprendre. C'est comme les gens qui me criaint "Rasta !" sur la plage à Mombasa, même après que je me sois coupé les locks. Je suppose c’est un esprit intérieur qui transparaît de manière évidente à l'extérieur.
J'avais l'habitude de voyager comme si je courais pour échapper à quelqu'un qui me poursuivait. Avec le recul, je me rends compte que je fuyais mon autre pays, les conflits familiaux exacerbés par notre pauvreté. À l'étranger, j'avais la possibilité d'être une "expat", une touriste à long terme (on les appelle digital nomad ces jours-ci, non ?) ou une étudiante étrangère. C’était mieux qu’être un corps noir pauvre et laid, vivant dans le ventre de la bête. Je pense que je fuyais ma condition. Peut-être que si j'ai tant voyagé, c'est aussi parce qu'inconsciemment, je savais que mon corps allait m'obliger à m'arrêter pendant longtemps. Au moins j’ai plein de souvenirs et pas de regrets.
Parfois, lorsque je parle d'une partie de ma vie, mes amies actuelles sont toujours stupéfaites, elles me disent des choses comme "wow, tu as vécu deh !". Oh oui j’ai vécu. Mais c’est dans le passé. C’était ma vie d’avant. Aujourd’hui je suis plus vieille, plus grosse, moins naïve, moins stable mentalement, je tiens à peine debout, je suis obligée de prendre plein de médicaments tous les jours (qui fonctionnent à peine et coûtent cher), je ne suis plus du tout insouciante, j’ai de l’anxiété, de l’insomnie chronique, une dépression latente qui ne veut pas me lâcher, une colère permanente contre l’état du monde et contre ses habitant.es, et en pus aller vers les inconnus est beaucoup plus difficile qu’avant. Merde alors, c'est à ça que la vie d'adulte était censée ressembler ?
C'est comme ça, c’est la vie. chacun fait avec les cartes que le hasard lui distribue et malgré ma malchance à ce jeu, il doit bien y avoir un moyen pour moi de profiter du monde et de la vie après tout, n'est-ce pas ? Suis-je condamné à rester dans la même ville et dans la même chambre, aussi confortable soient-elles ? Je n'ai pas encore la réponse à cette question, mais en tout cas, ce que je ressens, c'est que c’est le début de la fin d'un cycle.
La reco du mois
Ce mois-ci, je vous recommande le livre 'In such tremendous heat' de l'auteur Kehinde Fadipe (disponible en anglais seulement pour l’instant). Le livre raconte la vie de trois femmes nigérianes vivant et travaillant à Singapour, qui vont devoir faire face aux fantômes de leur passé pour décider des nouvelles vies qu’elles veulent avoir. J'ai d'abord choisi ce livre parce qu'il traitait de vies de femmes africaines en Asie, ce qui est assez inédit, donc j'étais curieuse d'en savoir plus. J'ai trouvé le livre très bien écrit surtout au niveau du rythme de l'histoire. Les histoires individuelles sont intéressantes et se croisent bien. Les 400 pages se sont égrenées sans soucis et les dénouements sont très bien ficelés. J'apprécie ça dans un livre. Je déteste quand les livres de fiction me laissent avec plus de questions que de réponses donc ce livre est un 10/10 pour moi.
My dear friend,
I feel like I haven't written in a really long time but it’s only been a month. My perception of time is quite distorted lately. One of the many signs that depression is making a comeback. There's something strange about being able to recognise what's happening to you while knowing that you can't do anything about it. Or that you don't want to do anything about it, because frankly, I'm tired and depression doesn't scare me anymore. If it wants to come let it come. Maybe we will end up being best friends, although I’m not sure this friendship would benefit me.
Yesterday I went to the beach to relax. I haven’t been in six months when I live only an hour away from it. Yesterday, I didn't feel the excitement I usually do. I usually love the beach. I'm like a golden retriever at the beach. But right now, I'm clearly slipping back into the state where nothing and no-one really interests or excites me. What's more, I can feel my cycle in Abidjan coming to an end. I can feel it in my spirit. I can feel it in my bones. Having said that, we'll see how long this feeling stays with me because it could be one of the effects of my mental health deteriorating these days due to a number of things that aren't even my fault, like my chronic illnesses that are getting worse and worse without me being able to do anything about it because they're incurable. The things I've had in place to manage my symptoms for almost 3 years no longer work. What a fucking curse.
Well, maybe it's a passing episode. Or maybe it's just the way things work for me. I can't stay in one place for very long. I've always had the energy of 'Me? I'm out of here'. I've always had a facility for leaving people, places, jobs etc. when things don't work out. I've never had the sacrificial patience to wait and hope that things would get better. Me? I'm out of here, that's for sure. I think I got that from my mother. I remember my aunt telling me how shocked and impressed everyone was when my mom, a woman, decided to move to France and leave her 3 kids under 10 years old (+ a husband), to prepare for us to join her a couple years later. I think I get all my bold traits from my mom. However, I haven't yet decided whether the “I’m out of here’ trait is a positive or negative one. It depends on the circumstances I guess. But one thing is sure, as the Ivorians say, "On dure pas dans mauvais rêve" (you shouldn’t stay long in a bad dream). I am pretty sure that I'll be back though, even if the culture of mediocrity in this city annoys me on the best of days and angers me on the worst. When I'm away for a long time, I miss the country, and when I'm here, I want to leave. Go figure. For the time being, I have no desire to get to know new people, new places or anything else in this city. I'm bored of the places where I used to go and if at the beginning of the year I put "go out more" on my vision board, today I very rarely feel like leaving my house. Sometimes you have to leave to come back better.
That said, a fortnight ago I had a novel experience in Abidjan. I took part in a two-week writing residency in a library in Yopougon. It was my first residency in Abidjan and it went really well. I was surrounded by super-talented Ivorian women writers and we were well looked after. I ate really well. I was comfortable. I was able to get on with writing my book, but since returning from the residency, nothing, zero motivation either to write or to read. At the residency, my days consisted of waking up-reading-eating-writing-eating and doing the same thing every day. I told myself that I really was made to be taken care of while I blessed the place with my presence and produced art, a bit like an indoor cat but in a creative version. A indoor writer cat. That's the life I deserve. If I could, I'd do several long artistic residencies a year in different parts of the world, even though I'd miss my flat and my bed. I love this flat, I love this bed. I'll be sad to leave them but I've already started to mourn. All good things come to an end.
You know, in my former life, I used to travel a lot. I lived in different places in the world and that made my family gave me the nickname of "globe-trotter" and even though I haven't really moved in almost 10 years, they still call me that. Go figure. It’s just like when people used me “rasta” on the beach in Mombasa even after I had cut out my locks. I guess it’s an inner spirit that transpires evidently on the outside.
I used to travel as if I were running to escape someone who was chasing me. In hindsight, I realized I was running away from home, my family conflicts exacerbated by racialized poverty. Abroad, I had the opportunity to be an “expat”, a long-tem tourist ( they call them digital nomads nowadays no?) or a foreign student. Anything better than being an ugly black body living in the belly of the beast. I think I was running away from my condition. Maybe I travelled so much because subconsciously I knew my body was going to make me stop for a long time. At least I now have plenty of memories and no regrets. Sometimes when I talk about that part of my life, my current friends are always stunned, they tell me stuff like” wow, you lived a life!”, oh yes I did. But that was in the past. Today I'm older, fatter, a nihilist, less naive, mentally unstable, I can barely stand up, I have to take strong medication every day (that barely works these days and have the audacity to be super expensive on top of that), I have anxiety, chronic insomnia, a permanent anger towars the word and it’s inhabitants, a latent depression that won't let go of me and going out to meet strangers is a lot harder than it used to. Damn, is that how adult life was supposed to be like? It is what it is. Everyone has to make do with the cards they're dealt by chance, and despite my bad luck in this game, there must be some way for me to enjoy the world and life after all, right? Am I here to watch other people live their lives? am I doomed to stay in the same city and in the same room, however comfortable they may be? I don't have the answer to that question yet, but in any case what I feel is that it’s the beginning of the end of a cycle.
My recommendation of the month
This week I recommend the book 'In such tremendous heat' by author Kehinde Fadipe. The book tells the story of three Nigerian women living and working in Singapore, who have to face up to the ghosts of their past as they decide what to do with their new lives. I initially chose this book because it dealt with the lives of African women in Asia, which is quite unusual and I was curious to find out more. I found the book extremely well written, especially in terms of the pace of the story. The individual stories are interesting and intersect well. The 400 pages flew by without a hitch and the endings are very well put together. I appreciate that in a book. I hate it when fiction books leave me with more questions than answers so this book is a 10/10 for me.