Une beau jour de janvier, une benguiste retourne dans son village / One fine day in January, a returnee returns to her village.
Part 2 : The book
Cher.e ami.e,
Les funérailles dans notre partie de l’Afrique peuvent au premier abord sembler inutilement longues et couteuses inutilement mais j’ai compris que chaque aspect avait été créé dans le but d’entourer le plus possible les personnes en deuil, de célébrer vie de la personne décédée, en groupe et à voix haute. C’est un moment où la communauté se manifeste en puissance.
A ces funérailles, j’ai pu revoir des membres de ma familles étendues que je n’avais pas vu depuis des décennies. Même si je sais que le temps passe et n’attends personne c’est toujours impressionant de le voir chez le autres, de voir des jeunes cousines maintenant adolescentes et bientôt jeunes adultes alors que la dernière fois que tu les as vu elles étaient dans leurs uniformes d’écolières.
Après que ma grand-mère fut mise en terre, un oncle nous balada dans le cimetière pour nous montrer les tombes des autres membres de notre famille dont les noms apparaissaient toujours dans les récits de ma mère : grand-père, deuxième femme du grand-père, arrière grand-mère, grand-oncle, grandes-tantes etc. J’ai beaucoup apprécié ce moment car il y a quelque qui s’affirme en toi quand tu es sur ta terre, la terre où les tiens vivent début des millénaires, la terre où les tiens sont enterrés, la terre où ton identité n’est pas remise en question. Surtout lorsque tu a grandi dans un pays qui te rappelle sans cesse que tu n’es pas chez toi, que tu ne le seras jamais et que tu devrais rentrer chez toi.
Mais revenons-en au livre. Etant donné que je connaissais maintenant la route de mon village et que je n’avais ni l’argent ni assez d’amis pour aller louer une villa avec piscine à Assinie, j’ai donc décidé d’aller finir mon livre au village. J’ai appelé ça une « résidence d’ecriture autogérée » pour glamouriser la chose. Après tout les gens de la génération Z sur tiktok disent qu’ils faut « romantiser sa vie » non ? Un beau jour de la première semaine de janvier donc, je pris mes clics et mes clacs et je me dirigeai vers la gare d’Adjamé. Je n’oubliai pas de prendre un anxiolytique avant parce que si tu connais un peu Abidjan, tu sais que le Marché d’Adjamé est la personnification même du stress sur la terre. Arrivée à Tiassalé, je pris mes quartiers dans l’hôtel où j’etais restée il y a deux ans avec ma tante et mes cousins. Je choisis de retourner dans cet hôtel car il possède un restaurant au dernier étage avec plusieurs sofas, idéal pour écrire confortablement car à cause de ma neuropathie périphérique, il est impossible pour moi de rester assise à 90 degrés pendant des heures.
Pendant la semaine que je passai dans cet hôtel, je me levais tôt naturellement et j’allais marcher un peu. Quiconque me connait sait que ceci est un exploit pour moi. En effet, je souffre d’insomnie, m’endormir chaque soir est une bataille et je ne suis jamais vraiment bien réveillée avant 14h donc la dernière chose dont j’ai envie quand je me réveille c’est de sortir marcher. Il faut croire que l’air du village et les matins aux reflets violets rendait tout ça plus facile. Je me levais et allais prendre l’air avant de revenir prendre mon petit déjeuner et me lancer dans l’écriture. Je m’étais donné comme objectif d’écrire 5000 mots par jour. J’etais déterminée à le finir ce livre. Autant vous dire que même si j’ai atteint mon but, plus j’ecrivais, plus je me rendais compte qu’il me restait beaucoup à écrire et que je n’allais pas le finir en une semaine ce livre. S’il y a bien une chose que ce séjour m’a confirmé à mon sujet, c’est que je ne suis pas une enfant de la consistance et de l’intensité. Ni mon corps ni mon esprit me permettent de travailler avec la même intensité tous les jours car je me réveille tous les jours avec des niveaux d’energie différents accompagnés d’états mentaux différents. Un type que je courtisait il y a environ 3 ans m’avais dit un jour que j’avais 100 humeurs différentes dans une journée. Ma réponse a été de l’ordre de « je sais, imagine à quel point c’est anxiogène pour moi-même.» Lorsque je me force à fonctionner hors de mon rythme naturel, je fais des burn out très rapidement et l’activité arrête de m’intéresser très vite. D’ailleurs, une fois rentrée à Abidjan à la fin de ce séjour, je n’ai pas touché écrit pendant un mois.
Pendant cette semaine, j’écrivais le matin, et l’après-midi j’allais déjeuner et lire allongée sur un hamac à Cacao Boh, un restaurant en plein air sur les rives du Bandama avec une vue magnifique. Ou bien j’allais à Niamoué, notre village qui se trouve de l’autre côté du pont, pour passer du temps avec les membres de ma famille qui y vivent encore et avec qui je n’ai jamais vraiment eu beaucoup de lien. Mais comme je l’ai dit précédemment, lorsque ta lignée est là depuis toujours, tu n’as besoin de rien d'autre pour être la bienvenue. J’avais aussi pour objectif d’apprendre un peu plus ma langue maternelle, le Baoulé. Je suis linguiste, traductrice et interprète de formation (entre beaucoup d’autre chose) et je parle quatre langues coloniales. L’un des plus grands regrets de ma vie a toujours été de ne parler aucune de mes langues indigènes (si le sujet t’intéresse et que ce n’est pas déjà fait, je t’inviter à aller lire mon essai intitulé « comment on dit pouvoir dans ta langue ? »).
Je pensais que revenir vivre à Abidjan allait m’aider à améliorer mon Baoulé, ma première année post-retour j’étais même allée une ou deux fois chez ma grand-mère, qui vivait avec deux employées de maison Baoulé également pour apprendre. Cependant l’anxiété m’empêcha d’y retourner et je finis par lâcher l’affaire. Vivre à Abidjan ne m’a pas particulièrement aidé à améliorer mon Baoulé car tout le monde y parle Français. J’espérais au fond que ce séjour au village m’aide à améliorer le peu de Baoulé que je sabais et si j’ai appris de nouveaux mots pendant ce séjour, je fus aussi prise du sentiment désolant selon lequel jamais je ne maitriserais cette langue. Comment je pourrais si même même les enfants de ma famille vivant au village ne la parle pas ?
Un jour que j’étais assise à coiffer ma cousine en écoutant la pluie tomber sur le vert intense du manguier de notre cour, une voisine vint rendre visite à ma tante et lui demanda qui je suis en Baoulé. Ma tante lui répondit que j’étais la fille de sa cousine Rosine qui est France et d’un homme Bété. La dame demanda si je parlais Baoulé ou Bété et ma tante répondit que je ne parle ni l’un ni l’autre. A son tour la dame répondit « Ah, elle est perdue alors ». Comment je pouvais être perdue si j’avais fait le chemin toute seule jusqu’ici ? J’avoue que cette phrase sans doute anodine pour la femme qui l’avait prononcé, m’offena. Premièrement ce n’était pas de ma faute si mes parents avaient manqué à son devoir de transmission de sa langue et deuxièmement, aucun des enfants de moins de dix ans présents dans la maison de ma tante à ce moment précis ne parlait Baoulé,même s’ils étaient nés au village. Est-ce qu’eux aussi étaient perdus ? Enfin, je pense que ce qui me heurta le plus c’était de rendre compte que je maitriserais probablement jamais cette langue. Je m’étais toujours dit qu’avant d’avoir mon premier enfant, je devais apprendre au moins une de mes langues car c’est quelque chose que je voulais lui transmettre. Je me rendais compte à présent que ça n’allait surement pas être possible. Je rentrais dépité à l’hôtel puis je me réveillai le lendemain avec la pensée inédite selon laquelle ma vie ne s’arrêterais pas le jour où j’aurais un enfant et contrairement à mes parents je pourrai emmener mon enfant au village régulièrement et apprendre avec lui. Comme le dit la chanson, « il n’est jamais trop tard. ».
Le lendemain, un de mes cousins décida de m’emmener faire le tour des alentours sur sa moto. Il m’emmena sur la tombe de quelques colons français qui étaient morts noyés à la fin du 19eme siècle en essayant de traverser le Bandama sur une pirogue en métal ( stupide je sais) et pour lesquels avaient été érigé une sorte de monument avec la pirogue en métal placé à côté. Zéro mention de leurs accompagnateurs indigènes qui avaient péri avec eux bien sûr. Mon cousin m’emmena aussi à Kanga Nianzè un village dont le nom signifie « les larmes de l’esclave » et où se trouve un monument en mémoire des personnes déportées aux Amérique pour être mis en esclavage. Dans ce village se trouve la branche du fleuve où ces personnes prenaient leurs derniers bains avant d’être déportée. Autant vous dire que l’énergie de ce lieu est très pesante. Alors qu’il m’emmenait à gauche et droite sur sa moto, mon cousin en profitait pour me raconter l’histoire de notre village, le fait qu’il avait été fondé par des guerriers de la reine Abla Pokou ( qui a fui l’actuel Ghana suite à un conflit de sucession) et son récit me fit comprendre beaucoup de choses sur le caractère des femmes de la famille de ma mère. Un caractère dont j’ai hérité, pour le meilleur et pour le pire.
Lors de mon dernier jour à Tiassalé, j’en profitai pour aller verser des libations près du fleuve et demander à mes ancêtres de m’accorder une année fructueuse. Ma mère m’avait raconté que c’est ce qui se faisait en début d’année dans son village lorsqu’elle était enfant. En regardant de l’autre côté du fleuve où se trouvait l’ancien village, celui où ma mère avait passé son enfance avant qu’il ne soit déplacé à cause de l’érosion. Sous les regards suspicieux des autres personnes qui se trouvaient là, debout près du fleuve, avec ma bouteille de bière -avec de la bière je n’avais pas pensé à prendre de la liqueur, je me dis que ça faisait l’affaire, c’est l’intention qui compte- je ressentis une certaine fierté. Je pensais à la joie de me ancêtres de me voir là debout près de ce fleuve, j’étais revenue toute seule pour la première fois dans mon village maternelle et maintenant que je connaissais le chemin, il était certain que ce ne serait surement pas la dernière.
My dear friend,
Funerals in our part of Africa may at first seem unnecessarily long and costly, but I realised that every aspect had been created to surround the mourners as much as possible and to celebrate the life of the deceased, as a group and out loud. It's a moment when the community shows up in full force. At this funeral, I was able to see members of my extended family whom I hadn't seen for decades. Even though I know that time passes and waits for no one, it's always impressive to see it in others, to see young cousins who are now teenagers and soon-to-be young adults when the last time you saw them they were in their school uniforms.
After my grandmother was laid to rest, an uncle took us around the cemetery to show us the graves of the other members of our family whose names always appeared in my mother's stories: grandfather, grandfather's second wife, great-grandmother, great-uncle, great-aunts and so on. I really enjoyed that moment because something is validating about being in the land of your ancestors, the land where your people have lived for millennia, the land where your people are buried, the land where your identity is not called into question. It’s especially true when you've grown up in a country that constantly reminds you that it is not your home, that it will never be and that you should actually go home.
But back to the book. Since I now knew the way to my village and had neither the money nor enough friends to go and rent a villa with a swimming pool in Assinie, I decided to go and finish my book in the village. I called it a 'self-managed writing residency' to glamourise the whole thing. After all, gen Z people on Tiktok say you have to 'romanticise your life', don't they? So one fine day in the first week of January, I grabbed my stuff and headed for Adjamé station. I didn't forget to take an anti-anxiety pill beforehand, because if you know anything about Abidjan, you know that the Adjamé market is the very personification of stress on earth. When I arrived in Tiassalé, I took up residence in the hotel where I had stayed two years prior, with my aunt and cousins. I chose to return to this hotel because it has a restaurant on the top floor with several sofas, ideal for writing in comfort since my neuropathy makes it impossible for me to sit at 90 degrees for hours on end.
During the week I spent in this hotel, I naturally got up early and went for morning walks. Anyone who knows me, knows that this is quite unexpected of me. I suffer from insomnia, falling asleep every night is a battle and I'm never really fully awake before 2pm so the last thing I want to do when I wake up is go for a walk. I guess the village air and the purple morning skies made it easier. I'd get up and go for a walk, grab breakfast on the way, then come back to the hotel to eat breakfast and start writing. I'd set myself the goal of writing 5,000 words a day. I was determined to finish this book. I might as well tell you that even though I reached my goal, the more I wrote, the more I realised that I still had a lot to write and that I wasn't going to finish the book in a week. If there's one thing that this self-managed writing residency confirmed about me, it's that I'm not a child of consistency and intensity. Neither my body nor my mind allows me to work with the same intensity every day because I wake up every day with different levels of energy accompanied by different mental states. A guy I was courting about 3 years ago once told me that I had 100 different moods in a day. My response was something along the lines of "I know, imagine how stressful that is for myself." When I force myself to function outside my natural rhythms, I burn out fast and the activity ceases to interest me very quickly.That must be why 9 to 5 jobs are hard for me to keep lately. In fact, when I got back to Abidjan at the end of my stay, I didn't write for a month.
During that week, I wrote in the mornings, and in the afternoons I went to have lunch and read lying on a hammock at Cacao Boh, an open-air restaurant on the banks of the Bandama river, with a magnificent view. Or I'd go to Niamoué, our village on the other side of the bridge, to spend time with the members of my family who still live there and with whom I've never really had much of a connection. But as I said before, when your lineage has been there forever, you don't need anything else to be welcomed.
I also wanted to learn a bit more about my mother tongue, Baoulé. I'm a linguist, translator and interpreter by training and I speak four colonial languages. One of the biggest regrets of my life has always been that I don't speak any of my indigenous languages (if you're interested in this subject and haven't already done so, I invite you to go and read my essay entitled "How do you say power in your mothertongue?). I thought that coming back to live in Abidjan would help me improve my Baoulé, and my first year back I even went once or twice to visit my grandmother in her house, she lived with two Baoulé maids that could teach me. However, anxiety prevented me from going back often and I ended up giving up. So, living in Abidjan didn't particularly help me to improve my Baoulé because everyone here speaks French. Different type of French, even the almost-pidgin version (Nouchi), with different accents but still French. Basically, I was hoping that my stay in the village would help me to improve the little Baoulé I knew, and although I learnt some new words during my stay, I was also gripped by the lonely feeling that I would never master the language. How could I, if even the children of my family living in the village don't speak it?
One day, as I sat doing my cousin's hair, listening to the rain falling on the deep green mango tree in our courtyard, a neighbour came to visit my aunt and asked her who I was. My aunt replied that I was the daughter of her cousin and a Bété man. The lady asked if I spoke Baoulé or Bété and my aunt replied that I spoke neither. The lady replied "Ah, then she's lost". This entire conversation took place in Baoulé so my aunt had to translate for me afterwards. How could I be lost if I'd come all the way here on my own? I have to admit that I was offended by this sentence, which was probably harmless to the woman who had uttered it. Firstly, it wasn't my fault that my parents had failed in their duty to pass on their language, and secondly, none of the children under the age of ten who were in my aunt's house at the time spoke Baoulé, even if they had been born in the village. Were they lost too? I think what hit me the hardest was realising that I would probably never speak the language fluently. You know, I'd always told myself that before I have my first child, I'd have to learn at least one of my indigenous languages, because that's something I wanted to pass on to them. I now realised that this was probably not going to be possible. I went back to the hotel feeling a deep sadness but I woke up the next day with the unprecedented thought that my life wouldn't end the day I had a child and that, unlike my parents, I would to take my child to the village regularly and learn with then. As the song says, "Il n’est jamais trop tard" (it’s never too late).
The next day, one of my cousins decided to take me on a tour of the surrounding area on his motorbike. He took me to the grave of some French colonizers who had drowned at the end of the 19th century trying to cross the river in a metal pirogue (stupid, I know) and for whom a sort of monument had been erected with the metal pirogue next to it. No mention of their native helpers who had perished with them of course. My cousin also took me to Kanga Nianzè, a village whose name means "the tears of the slave" and where there is a monument in memory of the people deported to America to be enslaved. In this village is the branch of the river where these people took their last baths before being deported. You might as well say that the energy of this place is very heavy. As he took me around on his motorbike, my cousin took the opportunity to tell me about the history of our village, the fact that it was founded by the warriors of Queen Abla Pokou (who fled what is now Ghana following a succession dispute) and his story made me understand a lot about the character of the women in my mother's family. A character that I have inherited, for better or for worse.
On my last day in Tiassalé, I took the opportunity to pour libations by the river and ask my ancestors to grant me a fruitful year. My mother had told me that this was done at the beginning of the year in her village when she was a child. Looking across the river at the greenery hiding the old village, where my mother had spent her childhood before it was moved due to erosion. Under the suspicious glances of the other people there, standing by the river with my bottle of beer - with I hadn't thought of taking liquor, I told myself that beer would do, it's the thought that matters - I felt a certain pride. I thought of how happy my ancestors would be to see me standing there by the river. I'd come back home alone for the first time and now that I knew the way, it certainly wouldn't be the last time.
I loved reading this Nginza ! Thank you so much for sharing this experience. I'm from Cameroun, I was born there and came to France very early on so I have very few memories. I might go back one day, I don't know, but in the meantime reading this made me think of all the things that we lost as immigrants and children of immigrants. It's sad, but I'm glad some of us have the possibility to go back.
You’re a wonderful writer Nzinga!
I love reading your thoughts